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Comment l’artisanat peut devenir l’expression matérielle d’un patrimoine  culturel immatériel ?
Crédits: CC BY 2.0 Jacques Mignon

Comment l’artisanat peut devenir l’expression matérielle d’un patrimoine culturel immatériel ?

Alexandre Douet
par Alexandre Douet - Publié Il y a 2 ans
Comment l’artisanat peut devenir l’expression matérielle d’un patrimoine  culturel immatériel ?
Crédits: CC BY 2.0 Jacques Mignon

Nous, Compagnons, sommes attachés au patrimoine, à l’héritage de nos ancêtres, à la transmission des savoir-faire validés par des générations d'hommes de métier.


Pourquoi est-ce si important de conserver et de perpétuer ces savoir- faire ?

Mais finalement, qu’entend-on par « patrimoine » ? 


L’étymologie du mot « patrimoine » vient du latin patrimonium, de pater « père » et munio « munir ». On pourrait le résumer ainsi : l’héritage du père, bien de famille, commun d’un groupe.


Cependant, le patrimoine peut être de plusieurs natures, il peut être matériel ou immatériel.


Le patrimoine matériel est en lien avec la matière, c’est quelque chose que l’on peut toucher,  qui est visible. Il est de l’ordre du bâti.



Le patrimoine immatériel est sans rapport avec la matière, il n’est pas palpable. Il est invisible et pourtant présent au quotidien dans notre vie, notamment à travers l’usage, la transmission, la pensée.


« Dis-moi, n’as-tu pas observé, en te promenant dans cette ville,

que d’entre les édifices dont elle est peuplée,

les uns sont muets,

les autres parlent ;

et d’autres enfin, qui sont les plus rares, chantent ? »


Paul Valéry, Eupalinos ou l’architecte, 1924, éditions Gallimard 


Quand je vais dans un des plus grands magasins au monde de mobilier et de décoration, je regarde ses meubles et, comme certains de ces édifices, ils sont muets. Ils n’ont rien à raconter.


Ils n'ont pas d’identité propre, il sont faits en série. Je dois m’adapter à leurs spécificités. La qualité est relative, il sont difficilement réparables. Ce qui les rend, à mon avis, muets.


Lorsque je vais dans un musée, je regarde ses meubles, ils me parlent. Cependant, ils ne chantent pas. Ils sont de bonne facture, ils ont traversé les siècles et répondaient à des besoins spécifiques. Cependant, ils sont aujourd’hui dépassés. Je pense notamment au buffet à deux corps de style Henri II. On le retrouve fréquemment dans les brocantes, dépôt meuble, voire même malheureusement en déchèterie, signe qui ne trompe pas qu’il est délaissé de nos intérieurs.


Il y a également la maie, ce petit meuble utilisé initialement pour conserver la farine puis pour ranger des objets volumineux, pour enfin encombrer de nombreuses maisons car, son usage n’est plus clairement défini.



Buffet à deux corps de style Henri II

http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo378231 



Maie

https://fr.wiktionary.org/wiki/maie


Le buffet s’intègre difficilement dans nos intérieurs de maison de plus en plus restreints, sa dimension est imposante. Cet aspect monochrome du bois massif est prédominant, et son usage, qui était d’entreposer le service à vaisselle reçu jadis en cadeau de mariage, n’est plus d’actualité. Sans dénaturer le savoir-faire et l’histoire de ce buffet ni même de la maie, je pense pouvoir dire qu’aujourd’hui ces meubles me parlent mais ne chantent pas.


Réhabiliter, restaurer, rénover ou réparer ?


Le recours à un artisan pour concevoir un meuble ou un agencement idéal a un coût. Cependant, il existe  de nombreux ouvrages de bonne facture, avec un style ou un vécu.

Pourquoi ne pas se fonder sur ces histoires pour en composer de nouvelles ?


Pour ce faire, il existe quatre manières d’accompagner la transformation de ces derniers :


• la réhabilitation,

• la restauration,

• la rénovation,

• la réparation.


a) La réhabilitation


La réhabilitation est la manière de préserver le caractère historique de l’ouvrage en y intégrant des éléments de confort et de sécurité. Il s’agit de trouver le subtil mélange entre son origine et la manière d’en avoir un usage dans l’air de notre temps.


Prenons par exemple une fenêtre en bois simple vitrage, posée en tunnel.


Réhabiliter, c’est la remplacer en prenant en considération les contraintes dimensionnelles de l’ancienne fenêtre.

La nouvelle aura les mêmes dimensions, cependant elle n’aura pas les mêmes performances thermiques, celle-ci sera probablement en double vitrage ou triple vitrage. Il serait également possible d’envisager une menuiserie en bois-alu plus performante, ce qui changerait également l’esthétisme.


Réhabiliter, c’est également la possibilité d’agrandir la fenêtre en intervenant dans une certaine mesure sur le bâti afin, par exemple, d’apporter davantage de lumière dans une pièce.

Vous l’aurez compris, réhabiliter, c’est s’adapter à l’existant et au contexte afin de proposer une réponse aux nouveaux usages.


Mais alors c’est quoi un meuble qui chante ?


Dès que je vais voir un artisan et que je lui donne des plans afin qu’il réalise un meuble, il va concevoir cet ouvrage selon des critères bien précis. Il réalisera l’ouvrage selon des dimensions spécifiques, me conseillera sur l’essence de bois à utiliser en fonction de l’usage et des besoins. Ses connaissances sur l’ergonomie m’aideront à modifier mon projet afin qu’il me convienne mieux, son savoir-faire me garantira un ouvrage qui m’accompagnera durant toute ma vie, la patine du temps fera son office et celui-ci aura une histoire à raconter.

Il sera également ancré dans son espace, mais également dans le temps, afin de s’adapter à nos vies changeantes. Ainsi, il pourra se transformer, évoluer selon nos besoins.


D’une certaine manière, je pourrai comparer ce meuble à un organisme vivant : il est fragile, sa peau est comme la couche d’un vernis, elle se tache, se patine avec le temps, l’ossature du meuble qui en serait le squelette peut également se fracturer et donc se réparer. L’un comme l’autre peuvent muter.


En mobilisant un artisan, je contribue également à pérenniser son savoir-faire. Cet ouvrage sera un bien matériel, mais également un bien immatériel, il gardera en mémoire les techniques, les gestes, le savoir de son créateur.

Ainsi, pour reprendre la citation de Paul Valéry, je pense que cet ouvrage chante.

L’UNESCO ajoute la dimension culturelle aux patrimoines matériel et immatériel.


b) La restauration


La restauration est la remise en état de l’ouvrage selon son état original par les techniques et matériaux de l’époque. La volonté est de reproduire à l’identique, on parle également d’authenticité.

L’authenticité : de quoi s’agit-il ?


L’Encyclopédie des métiers. La menuiserie propose une définition :


« L’objectif d’une restitution est de rendre cohérent un ensemble disparate ou incomplet. Cependant, cette cohésion ne doit pas être réduite à l’aspect esthétique le plus primaire. Le respect des proportions, des techniques et de la diversité des essences de bois utilisées est essentiel à l’authenticité de la réalisation »


Pour reprendre l’exemple de notre fenêtre, il serait donc primordial de conserver un maximum ce qui est encore en bon état et de remplacer les parties manquantes ou abîmées avec une essence de bois historiquement similaire.


De même pour les assemblages, il apparaît impensable de remplacer un tenon mortaise par un domino par exemple. Il faut garder à l’esprit que l’ouvrage restauré deviendra le témoin d’une cohérence stylistique. Changer la conception, c’est rompre avec une certaine sincérité et fidélité à l’histoire de cette menuiserie.


Cependant, la restauration fait débat car il est difficile de restituer un aspect « originel » qui n’a probablement jamais existé. Il est en effet difficile de reproduire un élément d’une époque qui n’est plus la nôtre.


Selon l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, « Restaurer un édifice, ce n'est pas l'en­tretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné. »


On parle alors d’authenticité immatérielle.


Selon le document de Nara sur l’authenticité rédigé en 1994, il apparaît que le terme d’authenticité varie d’une culture à une autre et par conséquent que le contexte culturel doit être pris en compte. Il existe alors une authenticité de traditions, de techniques ou de fonctions.

Cette vidéo du journal le Monde nous en dit un peu plus :



c) La rénovation


La rénovation consiste à refaire un ouvrage neuf à partir d’éléments plus vieux. Cela ne tient pas compte du caractère historique de ces vieux éléments. Il arrive parfois que l’ouvrage semble très ancien alors qu’en réalité, il ne l’est pas.

Ainsi, selon l’Encyclopédie des métiers. La menuiserie :


« Le lien de cause à effet entre la solution technique mise en œuvre et l’aspect esthétique qui en découle est la principale différence entre la restitution et la rénovation, qui consiste souvent à satisfaire au seul respect des proportions. »


La rénovation est davantage un facteur d’image, de proportion que la volonté de chercher une vérité historique.


Pour garder l’image de notre fenêtre, la rénover, c’est remplacer les éléments manquants ou abîmés sans porter une grande attention à l’essence de bois utilisé, ne pas chercher à reproduire la méthodologie ou la philosophie de son créateur, mais rénover afin d’atteindre l’objectif que l’on souhaite atteindre. Il est également possible de rénover pour revaloriser l’objet. On parle alors d’upcycling. Celle-ci aurait pu, alors, intégrer les trois mille autres fenêtres sur la façade du nouveau siège du conseil de l’Union Européenne.


https://www.office-et-culture.fr/architecture/concept/siege-du-conseil-europeen-et-de-l-union-europeenne


d) La réparation


La réparation peut prendre plusieurs formes, j’en ai retenu deux.


La première est de réparer en minimisant l’impact de celle-ci. L’idée est de la rendre invisible, comme la nécessité d’oublier cette blessure. Le choix de réparer à l’identique peut être également perçu comme une volonté de prolonger l’histoire de l’objet sans accepter sa transformation.


La deuxième forme de réparation est une forme de résilience. Accepter la blessure et s’en servir comme le point d’un nouveau départ.

De ce point de vue, l’histoire passée de l’objet devient la matière pour créer une nouvelle histoire. Le Kintsugi est une méthode permettant de concilier ces deux histoires.


Ainsi, le Kintsugi est l’art de transformer le visible en invisible.


Le Kintsugi est une méthode, ou un art japonais consistant à réparer un objet, un ouvrage. L’idée n’est pas de réparer à l’identique cet objet ni même de réparer de manière invisible, mais de mettre en valeur sa réparation. On tient compte de son histoire afin d’en créer une nouvelle.

Prenons par exemple un bol, celui-ci n’est plus utilisé depuis un certain temps déjà, car il nous semble usagé et abîmé. Celui-ci a certainement vécu plein d’histoires, il nous remémore des anecdotes, des moments passés.


L’idée n’est pas d’effacer ces histoires, mais de composer avec elles afin d’en écrire de nouvelles.





La forme de l’objet est donc conservée, et sa réparation est assumée, visible, elle est le témoin de son histoire passée.


Cette réparation matérielle est le témoignage d’un passé immatériel. Récupérer un ouvrage du passé et le réparer sont un gage de transmission. Le réparer de manière visible, intentionnelle, c’est transmettre davantage qu’un bien matériel, c’est transmettre de l’immatériel, une histoire, un savoir-faire.

Transmettre ne signifie pas pour celui qui reçoit de conserver cet héritage tel qu’il est, il me semble important de prendre en compte le contexte, les besoins changeant de notre société.


Ce bol pourrait ne plus être un bol pour les besoins du déjeuner par exemple, mais un vide-poche. Son histoire passée devient le support d’une nouvelle histoire.


Ainsi, qu’il s’agisse de réhabiliter, restaurer, rénover ou réparer, ces interventions sont l’expression matérielle de notre patrimoine culturel immatériel.

L’objet lui-même sert de support pour continuer à transmettre nos savoirs et savoir-faire.





Alexandre Douet
Rédigé par Alexandre Douet
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