Avez-vous déjà entendu parler d’une technique ancestrale japonaise appelée l’Hikiya ?
Celle-ci serait apparue pendant la période d’Asuka qui s'écoule du milieu du VIe siècle jusqu'au VIIe siècle.
Il semblerait que cela soit pendant cette période que les premiers ouvriers maçons se seraient diversifiés afin de devenir des ouvriers que l’on nomma Hikiya.
De cette nouvelle profession, découle la technique Hikiya qui a pour objectif de séparer un bâtiment, un temple de ses fondations. L’ouvrage est ensuite déplacé à quelques dizaines de mètres sinon vers un autre lieu. Cette technique évite de démolir ou bien encore de démanteler l’édifice.
Pourquoi vouloir déplacer un édifice ?
Bien que cette pratique semble assez confidentielle, tant en France que dans le reste du monde, cette dernière interroge sur notre manière d’habiter l’espace. Pourquoi faudrait-il s’adapter sans cesse à notre futur chez soi quand on sait qu’une solution existe pour transporter un ouvrage, ou encore notre maison afin de l’acheminer vers un autre terrain ?
Démolir un ouvrage, c’est également modifier le paysage urbain, aux risques de supprimer un marqueur de l’identité d’une ville. Les habitants se sont peut-être attachés à ce bâtiment ? L’identité du quartier, c’est peut-être créé à travers cet édifice ?
Pourquoi faudrait-il à chaque déménagement réaménager des espaces, reconstruire une maison, au risque de perdre une partie des souvenirs de notre enfance, de notre vie ?
Parmi les justifications à vouloir déplacer un édifice, je pense qu’il y a plusieurs manières, cas de figure qui peuvent se présenter :
1) On pourrait d’abord penser que l’ouvrage soit remarquable, qu’il soit témoin d’une époque, d’un patrimoine culturel immatériel, mais, quand l’état actuel, le contexte climatique le met en péril. Je pense par exemple au temple d’Abou Simbel en Egypte qui a dû être découpé en 1035 blocs pour être reconstruit en haut de la falaise. À la différence d’Abou Simbel, l’Hikiya permet de conserver l’état original sans toucher à l’intégrité de l’ouvrage. Il serait donc possible de sauvegarder un patrimoine. Cependant la question de cohérence avec l’histoire ou de vérité historique pose un autre débat.
2) La transformation des villes comme a pu l’être Paris en 1830 avec Georges Eugène Haussman a également contribué à des avancées majeures dans les écoulements de flux (de la population, des marchandises, qualité de l’air et de l’eau) mais également à des destructions comme l'église Saint-Benoît-le-Bétourné. Le paysage urbain continue d’évoluer. Cependant, la destruction n’est pas l’unique solution. Cette technique pourrait également être utilisée pour venir compléter un besoin à proximité.
3) La construction d’un nouvel édifice d’une nouvelle maison demande du temps, des compétences et de l’argent, alors pourquoi ne pas envisager de la déplacer ?
4) La construction d’un ouvrage demande une certaine quantité de matières premières et son démantèlement produit également une grande quantité de déchets. Déplacer un ouvrage permettrait de penser de manière durable en réduisant également notre impact climatique.
Quels types d’ouvrages peuvent être déplacés ?
Il semblerait qu’historiquement, ce fussent surtout les ouvrages en bois qui étaient déplacés. Une grande majorité d’ouvrages était conçue à l’époque en bois, non pas pour anticiper un éventuel déplacement de ces derniers, mais pour répondre notamment à des contraintes de sismicité importante.
Aujourd’hui, avec les techniques modernes, il est possible de déplacer des ouvrages de grande envergure en brique, en pierre ou en béton. La taille de l’édifice ne pose pas non plus trop de problèmes, ainsi, il est possible de déplacer une maison, une école, un temple ou encore un immeuble de bureaux de 6 200 tonnes.
La vidéo ci-dessous nous montre le déplacement d’une maison individuelle d’une vingtaine de mètres en un peu moins d’une heure. La maison semblait trop près de la route pouvant entraver la modernisation de la voirie. En reculant la maison, les nuisances sonores s’en retrouvent également grandement réduites.
Cette vidéo nous montre un peu plus en détails la mise en œuvre et la technique utilisée pour déplacer une autre maison traditionnelle japonaise.
En Chine, cette fois, le temple de Jade dans le centre de Shanghai a lui aussi été déplacé. La distance n’est pas beaucoup plus importante, 30 mètres, mais la taille et surtout son poids de 2000 tonnes auront nécessité quinze jours de travail pour le déplacer. La technique utilisée est sensiblement la même.
Il s’agit de renforcer les fondations du temple en créant sous le plancher de celui-ci de nouveaux poteaux en béton. Les anciennes fondations sont par la suite supprimées pour ne laisser place que les nouvelles ainsi que des rails en béton pour supporter le poids du temple. Il aurait également pu être en bois si la charge n’avait pas été si lourde.
Au-dessus, des rails en béton sont placés des vérins hydrauliques qui serviront à soulever le temple, mais également à pouvoir le déplacer.
Les poteaux en béton deviennent inutiles et sont donc supprimés, l’ensemble de la charge est supporté par les vérins hydrauliques verticaux.
Le temple est alors poussé par un système de vérins horizontaux, il est également possible dans des projets moins imposant de tracter la charge à l’aide de treuils.
On retrouve également plus près de chez nous à Zürich en suisse un ancien bâtiment de bureaux. Celui-ci compromettait l’extension du trafic ferroviaire. Plutôt que de le démolir, l’immeuble de 6 200 tonnes a été déplacés de soixante mètres.
La géométrie de l’ouvrage a-t-elle une incidence sur les moyens de mise en œuvre ?
Une école de 7 000 tonnes construite il y a quatre-vingt-cinq ans à Shangaï en Chine a été déplacée d’une manière quelque peu différente encore des précédentes.
Sa géométrie complexe n’a pas permis d’utiliser comme précédemment un système de poutre en bois ou en béton avec un rail de guidage. Celle-ci a été déplacée à l’aide de 200 vérins hydrauliques fonctionnant en deux temps de manière dissymétrique.
Pendant qu’une première moitié se lève, l’autre se baisse, imitant le mouvement des pas humains.
Rencontre entre la technique de l’Hikiya et l’architecte japonais Junya Ishigami.
À travers le travail de l’architecte japonais Junya Ishigami, j’ai constaté que la technique de l’Hikiya ne se résumait pas seulement à la conservation d’un patrimoine ou bien du déplacement de celui-ci. Pris dans un contexte plus large, il peut également servir à recréer un projet d’architecture, un projet dans lequel l’ensemble des éléments déplacés s’intègrent dans un projet global. Je pense par exemple à son projet Home for the Elderly (maison de retraite pour personnes âgées atteinte de démence).
Plutôt que d’intégrer ces personnes âgées dans une architecture contemporaine aux risques qu’elles perdent leurs repères, l’architecte a souhaité déménager et intégrer ces maisons traditionnelles au plus près du dispositif médical.
Ainsi, les personnes âgées peuvent conserver un lien avec les habitations traditionnelles qu’elles ont connues. À la différence des deux autres méthodes de déplacement des édifices, ces maisons ont été déplacées à l’aide d’une grue, puis acheminées par camion sur leur nouveau site.
Alexandre Douet