« Harmonie, logique, sentiment » écrivait en son temps l'architecte de l'art nouveau Hector Guimard à propos de sa discipline.
De nombreux illustres architectes au cours de l'histoire ont ramené les éléments essentiels de l’architecture à trois principes fondamentaux.
Ces trois principes sont toujours à peu près les mêmes et viennent de Vitruve qui, dans son traité De architectura inscrit qu’une structure doit présenter les trois qualités de “firmitas, utilitas, venustas » autrement dit « solidité, utilité et beauté »
Je ne suis pas architecte, ni illustre mais j’aime à penser qu'à l'instar de cette devise en trois mots, la réussite d’un projet architectural, aujourd’hui , bien conçu et bien construit, repose sur le dialogue et le partage entre trois acteurs de l'acte de bâtir: l’architecte, l’ingénieur.e et le ou la professionel.le métier.
Ce trio indissociable est sans doute ce qu’il a permis à ce projet de construction de maison individuelle en pierre massive porteuse, d’être livré, avec succès, à Nancy au printemps 2024.
Chacun de nos protagonistes est animé par des ambitions propres:
- Christophe, notre architecte et maitre d'œuvre engagé et économe souhaite à la fois convoqué le faste de l'âge d'or de l'art Nouveau nancéen, prescrire un maximum de matériaux naturels et employer uniquement des artisans qualifiés, le tout en restant dans un coût modéré ( de 2500 €/m²).
- Marine, notre ingérieure éclairée et passionnante souhaite étudier l'épaisseur minimale des murs et stabiliser notre ouvrage par lui-même en réduisant l'usage du béton armé à son stricte minimum réglementaire.
- Sébastien, notre tailleur de pierre passionné et téméraire veut quand en lui, calepiner (dessiner) et bâtir en pierre dans les règles de l'art comme autrefois.
Je vous invite donc à les entendre dans ma sixième synthèse (6/7) des conférences du colloque "La pierre : un choix sociétal" organisé le 10 juin 2024 au Pavillon de l’Arsenal.
Bonne lecture ou bon visionnage ( captation vidéo en bas d'article).
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Présentation des acteurs
Christophe Aubertin est architecte et membre fondateur du collectif Studiolada basé à Nancy. À travers leurs projets, Studiolada propose une pratique locale de l’architecture et de l’urbanisme, s’appuyant sur la culture et les savoir-faire du territoire vosgien. Ils expérimentent de nouvelles manières de construire, notamment par un emploi revisité des matériaux naturels régionaux comme le bois et la pierre.
Marine Bagnéris est ingénieure-chercheuse en mécanique des structures au sein du bureau d’études STONO.
Ce bureau, co-fondé avec Fabien Cherblanc, est spécialisé dans l'utilisation d'outils numériques pour la modélisation de géométries complexes et la simulation du comportement mécanique des matériaux et des structures. Œuvrant à l'intégration des matériaux premiers dans les constructions contemporaines, STONO se consacre au transfert technologique des méthodes académiques vers l'ingénierie et à la formalisation des savoir-faire artisanaux en critères scientifiques.
Sébastien Délia est artisan bâtisseur et tailleur de pierre.
Après un Tour de France démarré en 2010 et une mission de formateur au sein des Compagnons du Devoir, Sébastien Délia se spécialise en 2022 dans la construction en pierre massive et lance sa société Délia Construction Pierre. Nourri par des rencontres et expériences marquantes depuis son apprentissage, son parcours reflète une passion pour l'innovation et la collaboration interdisciplinaire.
Une architecture à énergie humaine
Premier à prendre la parole, Christophe Aubertin pose le cadre économique et éthique de ce chantier.
Inspirés par la construction récente du marché couvert de Saint Dizier, révélant les potentialités constructives et expressives de la pierre, les clients commandent à Christophe une maison de 150 m². Nancy étant connu pour son Art Nouveau, le projet doit s’inscrire dans cette tradition de façon formelle ou symbolique.
« Comment faire une maison qui apporte un maximum d’artisanat, et comment faire pour que tous les artisans prennent un maximum de plaisir à la construire ? Nous voulons faire une architecture à énergie humaine. »
Élévation Sud de la maison en pierre de Brétigny et de Migné
Si l’enjeu du projet est en premier lieu humain, le défi technique principal est de construire cette maison de centre-ville avec un budget de 370 000 €, en utilisant le minimum de béton armé.
L’enveloppe de pierre est composée de quatre murs de 25 cm d'épaisseur, avec une grande baie en arc parabolique de 6 mètres de haut au Sud et 8 ouvertures appareillées au Nord. L’isolation intérieure est prévue en laine de bois et dotée d’un frein vapeur hygrovariable. L’ensemble des menuiseries, la charpente et le plancher supérieur sont pensés en bois massif.
Eclatés du projet © Christophe Aubertin
Bien que ces paramètres s’avèrent initialement coûteux, avec l’aide des artisans, le dessin est simplifié et dès la phase de conception, l’ensemble des postes est rationnalisé pour rester dans le budget. Cette coopération étroite entre différents corps de métiers, essentielle pour atteindre un coût acceptable, a été possible grâce aux compétences de modélisation des artisans qui ont partagé une même maquette 3D en support de dialogue et de travail
Elévation Nord © Christophe Aubertin
L’ingénierie structurelle de la pierre
Sollicitée pour répondre au défi de conception d’une paroi haute et fine en pierre sans raidisseur en béton et collaborant avec un plancher en bois, STONO a apporté son expertise en matière de mécanique structurelle et d’histoire de la construction, ainsi qu'une lecture avisée d’un cadre réglementaire souvent contraignant pour l’usage de la maçonnerie en pierre.
Marine Bagnéris débute son intervention en prenant pour référence les travaux du XIXe siècle de l’architecte et théoricien Jean Rondelet qui, il y a 200 ans, s’interrogeait dans l’Art de bâtir « de l’épaisseur à donner aux murs qui ne sont pas voûtés » constatant qu’ils se soutiennent avec une moindre épaisseur, surtout lorsqu’ils sont réunis par des planchers ou des toits disposés d’une manière convenable ».
« Dans la démarche de l’ingénieur du XIXe siècle, l’observation de ce qui a déjà été bâti est primordiale. »
Basée sur l’observation de plus de 280 bâtiments en France et en Italie, la méthode de Rondelet énonce des rapports hauteur/épaisseur de 16 pour un mur isolé, puis un rapport de 32 pour un mur collaborant avec une charpente. L’approche géométrique qu’il développe permet d’émettre des abaques de calculs et une règle théorique graphique intégrant un coefficient de sécurité important, qui firent référence pendant des décennies.
Bien qu’intéressantes pour comprendre les maçonneries anciennes, ces règles empiriques et les ouvrages surdimensionnés auxquels elles conduisent ne s’appliquent plus à l’économie de la construction d’aujourd’hui et ne correspondent plus aux critères de nos règles de calculs de structure, à savoir l’Eurocode 6 et son annexe nationale, le DTU 20.1.
Ces textes, édités pour assurer la construction massive des bâtiments d’après-guerre en matériaux manufacturés, ne s’avèrent pas adaptés aux comportements de la maçonnerie de pierre. De plus, certaines règles de dimensionnement manquent de clarté et deviennent sources de différences d’interprétation entre bureaux d’études et bureaux de contrôle, notamment sur l’intérêt des chaînages verticaux, les typologies de chaînages horizontaux et leur possibilité de réalisation en béton armé, acier ou bois (le chaînage en bois étant accepté par l’Eurocode 6 mais non par le DTU 20.1). Dans le cas présent, un chaînage plat de 15x7 cm en béton de ciment naturel prompt armé se loge dans la dernière assise de pierre du rez-de-chaussée et est relié à la panne muralière du plancher de l’étage. La panne sablière soutenant le solivage de la charpente est quant à elle adoptée en guise de ceinturage en tête du R+1.
Direction et intensité des pressions appliquées sur les joints par la méthode de calcul aux éléments discrets © Marine Bagnéris
Pour conclure positivement, Marine Bagnéris et Fabien Cherblanc développent, de par leur activité d’enseignants-chercheurs, une plateforme d’outils numériques de prédiction de la stabilité des structures maçonnées (LMGC90). Basée sur la méthode aux éléments discrets (DEM) utilisée depuis les années 80 pour analyser le comportement des milieux granulaires et des massifs rocheux fracturés, cette solution logicielle se révèle pertinente pour l’étude mécanique de nos appareils de pierre, avec des résultats au plus proche des comportements observés dans la réalité.
Organisation, partage et art du chantier
La troisième partie de la présentation est animée par Sébastien Délia. Après une rapide explication des motivations qui l’ont poussé à se spécialiser dans la construction en pierre massive, secteur boudé par une grande partie des entreprises de taille de pierre, l’artisan nous explique le déroulement du chantier et livre les points clés liés à la réussite de cette opération.
« Le calepin n’est pas l’apanage des architectes. […] Il faut vraiment réintégrer, quand vous concevez en pierre, la compétence de l’appareilleur-tailleur de pierre. Sinon, vous passez à côté de 2 000 ans d’histoire », dit Marine Bagnéris.
Un des points clés d’économie de ce projet a été d’adapter, avec l’accord de l’architecte, l’appareil et les dimensions des modules aux techniques et moyens de pose disponibles, mais aussi aux capacités du gisement des carrières (Brétigny pour le soubassement et les appuis de fenêtres et Migné pour les élévations) et à ses moyens de transformation.
Pose des pierres de plates-bandes et arc.© Christophe Aubertin
La construction en pierre étant non standardisée, on opte, en fonction des hauteurs de blocs marchands disponibles en carrière, pour un module dont les dimensions génèrent le moins de coupe et le moins de chutes, optimisant ainsi au maximum le rendement et le coût de production de la pierre.
N’ayant que très peu d’espace pour se déplacer et stocker les palettes, l’élévation des murs est réalisée depuis l’intérieur du bâtiment à l’aide d’une grue et d’une pince pour manipuler les pierres.
Pose des élévation à la pince Perdriel © Christophe Aubertin
L’assemblage des pierres est fait au mortier de chaux NHL avec un dosage de 300 kg/m³. La pose est précise, sans désaffleurement extérieur et sans ravalement prévu, donc l’exécution est jugée onéreuse, fastidieuse et émettrice de nuisances telles que la poussière et le bruit.
« On fait une pose propre, finie, et on n’y retouche pas. »
En conclusion, ce chantier démontre l’importance du faire ensemble afin de tirer le meilleur de chaque discipline. Il est un exemple des possibilités de réduction du béton à son stricte nécessaire : les fondations.
Mais pourrait-on revenir à des fondations en pierre ? Les intervenants sont unanimes, oui certaines pierres comme le granit ont une résistance à la compression digne des bétons haute performance. Plusieurs chantiers sont d’ailleurs en cours.
Cette question venue de l’auditoire appellera une autre réponse d’un professionnel, lui venu d'Angleterre, clôturant la séance :
« Avec toute la pierre disponible, les pierres refusées en carrière parce qu’elles sont esthétiquement non recevables, il y a un très gros potentiel pour faire des fondations en pierre. La beauté peut être cachée ».
Sébastien D'Elia et ses compagnons de chantier, Maxime et Jonathan © Christophe Aubertin
Solivage et charpente © Christophe Aubertin
Menuiserie en bois et solivage apparent © Christophe Aubertin
7# La pierre, un choix sociétal - NANCY_TRIO - Vidéo Dailymotion
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