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L'art des charpentiers japonais : retour sur une exposition
Crédits: ©Charlotte Mazalérat

L'art des charpentiers japonais : retour sur une exposition

Charlotte Mazalérat
par Charlotte Mazalérat - Modifié Il y a 1 mois
L'art des charpentiers japonais : retour sur une exposition
Crédits: ©Charlotte Mazalérat

Au Japon, les bâtiments en bois sont très nombreux et font partie intégrante de l'architecture traditionnelle japonaise. Des exemples célèbres incluent le temple Horyû-ji à Nara, considéré comme la plus ancienne structure en bois du monde, ainsi que les pavillons de thé.


La Maison de la Culture du Japon à Paris a proposé pendant plusieurs semaines une exposition passionnante sur : 


"L’art des charpentiers japonais - Au cœur de l'architecture en bois traditionnelle".





Avant de la découvrir, j'avais assisté à une conférence pour l'ouverture de cet événement. Ce qui suit est un partage de ce que j'ai écouté, lu et vu durant ces deux moments de découverte.


L'article n'abordera pas les cérémonies rituelles réalisées avant et après une étape d'assemblage, de montage de la charpente.


1) Présentation

Concernant la conférence 

Cette conférence était animée par Marcelo Nishiyama, directeur adjoint du Takenaka Carpentry Tools Museum à Kobe et commissaire de l’exposition. La thématique portait sur l'esprit des charpentiers est dans les détails. Les explications données  permettent de mieux comprendre l'exposition ainsi que l’histoire et la culture de l’architecture en bois, étroitement liées à l’environnement et à l’esthétique japonais.. 


L'importance des éléments

M. Nishiyama nous a expliqué l'importance des éléments tels que la terre, l'eau, le vent, le feu dans la culture japonaise ainsi que les myriades de croyances liées à la nature. 

Ce dernier nous a précisé que les bûcherons, les charpentiers sont en symbiose avec la nature. Ils demandent la permission aux dieux de la montagne avant d'abattre un arbre pour l'utiliser.


Selon les charpentiers japonais  :


"Les arbres comme les personnes ont des caractères différents

et il est indispensable de connaître leur environnement

dans lequel ils s'épanouissent. 


°°°

Il ne s'agit pas de trouver du bon bois, il s'agit de trouver du bon bois au bon endroit."


°°°

" Les arbres sont des ressources renouvelables. Toutefois, leur renouvellement n'est possible que si leur période de croissance correspond aux années d'utilisation des bâtiments. Si on utilise des arbres millénaires, on doit être prêt à prendre la responsabilité de construire des bâtiments qui dureront plus de mille ans." 

°°°

"Identifie les caractéristiques des arbres, penchés tantôt à droite, tantôt à gauche. Tu dois les assembler de manière à ce que leurs forces s'équilibrent."

°°°


Les toitures courbées telles des envols d'oiseaux

Les toitures des édifices en bois ont la particularité en Asie d'être courbée. Au Japon, les toitures ont quelque chose de différent.  Le fait que ces constructions paraissent plus fines est due à l'ingéniosité et au sens esthétique des charpentiers qui émanerait de la terre. Lorsque vous regardez une toiture de face, vous avez l'impression de voir un oiseau qui prend son envol.


L'affûtage des outils

L'art de la charpente fut possible grâce aux outils avec des lames particulièrement affûtées. Pour travailler le cyprès du Japon, les outils sont particulièrement tranchants . En effet, les conifères contiennent beaucoup de résine.


" Un outil tranchant permet de réaliser un travail sincère."


Les propriétés du cyprès du Japon

Le cyprès du Japon a d'ailleurs du mal à absorber les peintures. Au moment de la construction des édifices, certains temples étaient très colorés. En Chine et en Corée, les peintures abîmées par les intempéries sont repeintes mais pas au Japon. Le bois revient à son état naturel, brut. Les bois continuent à vivre après avoir été abattus.


La résistance du cyprès du Japon suit une courbe ascendante même après l'abattage et atteint son point culminant en 250 ans. Ensuite la courbe commence à décliner. Les bois utilisés pour la construction ont plus de 1300 ans et présente aujourd'hui la même résistance que lorsqu'ils ont été abattus.


L'essence de bois continue à respirer même lorsqu'elle est devenue pilier. Si on arrête cette respiration en le peignant, la résistance mécanique s'en trouverait altérée. La pièce de bois ne durerait pas si longtemps.


Si le cyprès du Japon rejette la peinture, cela signifie que les charpentiers ont entendu le message de l'arbre : " Ne me peignez pas". 


La résistance à l'eau

Si le bois du cyprès du Japon est tranchée avec une lame affûtée, la résine repousse l'eau. Le fait de travailler le bois avec le rabot jusqu'à ce qu'elle brille n'est pas uniquement dans un but esthétique mais c'est pour augmenter la résistance du bois.


L'intervenant explique ensuite que l'on voit une différence nette entre le bois travaillé au rabot électrique et le bois travaillé au rabot manuel. Lorsque le bois est exposé à la pluie, celui travaillé au rabot électrique moisit au bout d'une semaine alors que celui raboté à la main ne moisit pas parce qu'il a repoussé l'eau.  


Les assemblages 

Le vocabulaire des assemblages est très varié dans la langue japonaise. Pour simplifier, il convient de distinguer :

  • ceux pour former l'ossature d'u bâtiment 
  • ceux permettant de créer un seul matériau à travailler. 


Concernant l'exposition

Le savoir-faire japonais dans l'architecture traditionnelle en bois était très bien mis en valeur : 

  • les charpentiers spécialisés dans la construction des temples et des sanctuaires,
  • les bâtiments de style sukiya qui privilégient la fragilité et les matériaux naturels,
  • la technique d'assemblage de pièces en bois sans clous ni vis.

D'autres étapes du travail des charpentiers et d'autres techniques telles que celle du kigumi et du kumiko sont montrées.


2) Les forêts et le bois

La majeure partie du territoire japonais est couvert par les forêts. Parmi les essences qui poussent sur l'archipel, quatre essences sont utilisées dans les charpentes japonaises : 

  • le cyprès du Japon dit hinoki - nom latin : chamaecyparis obtura : apprécié pour son rapport résistance-poids élevé et son grain droit, régulier. Son grain serré retient les huiles plus longtemps que les autres essences ; ce qui lui vaut une meilleure résistance aux dégâts provoqués par les intempéries. Les piliers du temple Hôryû-ji ont plus de 1300 ans
  • le cèdre du Japon dit sugi - nom latin : crytomeria japonica : possède des propriétés de résistance, de maniabilité, d'imperméabilité, de longévité. 
  • le pin rouge du Japon dit akamatsu - nom latin : pinus densiflora : possède des propriétés de solidité. Utilisé pour les poutres de toit. 
  • le zelkova dit keyaki - nom latin : zelkova serrata - nom vernaculaire : orme chinois. Cette essence dispose d'un grain irrégulier et ondulé, utilisée pour son attrait décoratif.


Apparence des essences de bois 





Apparence des copeaux 

Le cèdre du Japon dit bois de sugi



Le châtaignier du Japon



Le thujopsis



Le zelkova



3) L'architecture traditionnelle

Les édifices religieux

Au Japon, les plus anciens bâtiments en bois sont des édifices religieux (temples bouddhiques et sanctuaires shintô). Certains sont toujours debout après plus de 1000 ans, tandis que d'autres ont été reconstruits, restaurés. 


La transmission des techniques de génération en génération

Pour certains édifices, les phases de reconstruction se déroulent tous les vingt ans. Ce processus est fondé sur un rituel s'étalant sur huit ans. Chaque génération impliquée dans la reconstruction veille à ce que les techniques les plus anciennes soient transmises jusqu'à aujourd'hui par des personnes capables d'apprendre par elles-mêmes. 


Résistance aux tremblements de terre

L'usage des bois centenaires associés aux techniques d'assemblages, aux techniques d'imbrication, de superposition  ont permis de concevoir des toits à porte-à-faux allant jusqu'à 11, 50 mètres. Les ossatures ainsi conçues sont capables de résister aux séismes. 


Les constructions résidentielles

Les caractéristiques spécifiques attribuées aux habitats japonais : les tatamis, les cloisons coulissantes, les portes coulissantes recouvertes de papier. Les bâtis sont construits sur des plans asymétriques avec une importance sur l'orientation par rapport au soleil et la vue sur un jardin. Les éléments structurels sont conçus avec des colonnes carrées espacées et des poutres à section triangulaire. Les assemblages ne disposent pas d'ornement car l'importance esthétique porte sur les intérieurs et pas sur les extérieurs. 


Le pavillon de thé

Il s'agit d'une réplique de l'ossature du pavillon de thé Sa-an du temple Gyokurin-in, époque Edo (1743) de Kyoto. Les murs, les plafonds et les cloisons coulissantes ont été partiellement retirées afin de mettre l'accent sur le travail des charpentiers. Les parties visibles sont des éléments de bois légers, assemblés sans clous, ni vis, ni colle.  


Ce pavillon de thé a été installé dans le lieu de l'exposition. Il n'est pas autorisé de rentrer à l'intérieur. Un espace suffisamment grand permet d'en faire le tour. 







4) Les outils du charpentier

Lors de la conférence, l'intervenant nous a expliqué que 179 outils sont nécessaires pour accomplir un travail de qualité. Après une étude réalisée en 1943, il s'avère que 72 outils sont a minima indispensables. 


Les outils de dessin


Les règles



Les gabarits

Ils sont utilisés pour tracer à l'encre les formes d'éléments ayant des courbes tels que les poutres, la courbure de la toiture. La taille et la forme d'un même élément de charpente peuvent varier d'un bâtiment à un autre. 






Épure d'un chevron d'angle du clocher du temple Jigan-ji.

Les épures étaient autrefois tracées sur des planches en contreplaqué car le papier pouvait être endommagé par les intempéries : vent et pluie. Le plan à taille réelle est accroché sur un pan de mur de la salle dans laquelle se tient l'exposition. Les photographies ci-dessous montrent seulement une partie de cette épure. 






Les outils 

La boîte à outils qui n'est pas montrée ici est fabriquée par le charpentier lui-même. Chaque boîte à outils est différente. Elles tiennent compte de la morphologie du charpentier ainsi que de la taille des outils eux-mêmes. 


Ci-dessous, des équerres, des ciseaux à bois :

  

Ci-dessous, des rabots  : 


 

Ci-dessous, des haches : 

 


Cet outil en forme de lance dit yari sert à aplanir la surface du bois préalablement travaillé avec une herminette. Il était utilisé au 3e et 4e siècles. Aujourd'hui, il est utilisé lors des travaux de réparation et de restauration des édifices. 



Les scies au Japon ont la particularité de couper en étant tirées, et non poussées comment les scies utilisées dans la plupart des pays. 

Ci-dessous, photo de scies à traction qui peuvent être utilisées par une seule personne.  




5) La quincaillerie

Les poignées :

Dans l'architecture de style sukiya, les poignées, au-delà du simple usage utilitaire de pousser et de tirer des cloisons et des portes coulissantes sont un moyen d'exprimer la fantaisie. Dans les pavillons de thé, les poignées simples sont privilégiées. Elles sont de couleur sobre et de forme ronde, ovale ou carrée.

Dans les pièces d'habitation, les poignées sont plus élaborées. 


 

  





6) Les assemblages

Les assemblages de la charpente japonaise sont spécifiques. Ils sont sans clous, ni vis. Chaque pièce de bois peut être démontée pour être changée si une partie se trouvait défectueuse. 


À différents endroits de l'exposition  des pièces plus ou moins encombrantes montrant bien les tenons et les mortaises étaient présentées. 


Pièces de bois pour faire un pilier rond. 

Le diamètre du tronc doit être plus grand que le diamètre souhaité. 


 



Chevrons d'angle 

Cet élément soutient l'extrémité de l'avant-toit à l'angle du bâtiment et qui, par conséquent, est long et large.






Ci-dessous, reproduction d'un élément du toit :





Kigumi

La technique de Kigumi consiste à entailler le bois de façon complexe afin de développer une véritable technique d'assemblage et une meilleure résistance à la charge.


Les Kigumi peuvent sembler identiques. En réalité, leur aspect et la façon de les assembler sont souvent différents. 




Le kigumi est considéré comme l'une des techniques les plus abouties de la charpente, l'assemblage permet de joindre, à l'angle d'un bâtiment, des poutres se croisant selon trois axes. 



Tsugite et Shikuchi

Il s'agit de deux sortes de kigumi :  

  • le tsugite désigne une technique qui permet d'assembler une pièce de bois dans le prolongement d'une autre. Le tsugite est utilisé pour les bâtis de grande taille lorsque la longueur de la pièce de bois est insuffisante;
  • le shikuchi désigne une technique d'assemblage de deux pièces de bois à angle droit ou à angle spécifique. 



 



 




Une grande variété d'assemblages est projetée sur les murs de l'exposition. En voici quelques uns : 

 

Kumimono

Ce type d'assemblage porte sur l'esthétique. Les pièces seront visibles. Elles structurent l'avant-toit. Les poteaux des temples et des sanctuaires sont ornés de structures en bois complexes appelés kumimono. Les pièces sont conçues pour être emboîtées comme une balance de manière à équilibrer l'ensemble. 


La méthode d'assemblage d'une de ces structures est présentée ci-dessous.

Il s'agit de la reproduction grandeur nature de pièces de bois du chapiteau en encorbellement du shariden du temple Engaku-ji  :






Tome-Tsugi et Kumi-Tsugi

Il s'agit d'assemblages d'angle de bois équarris, de type tenons et mortaises.


 

Assemblage de plans à queue d'aronde 

Ces assemblages sont utilisés pour les mobiliers : façade de tiroirs, pour les boîtes.








Kumiko

La technique du kumiko désigne un assemblage de petites pièces en bois qui permet de créer des surfaces ornées de motifs géométriques. Cette technique est utilisée pour décorer les portes coulissantes ainsi que des paravents ou encore des panneaux ornementaux. Cette technique remonte au 12e siècle. Pour réaliser ces pièces, le cyprès du Japon est plébiscité. Pour ce paravent, d'autres essences ont été utilisées afin de valoriser les teintes naturelles de chaque arbre.








Détail : 





Les pièces et les reconstitutions exposées proviennent toutes du Musée des outils de menuiserie de Takenaka (Takenaka Carpentry Tools Museum) à Kobe au Japon.


L'agencement, la scénographie  de l'exposition étaient particulièrement bien conçues. Le contenu et les explications étaient intéressants, et bien mis en valeur ; ce qui a rendu l'ensemble passionnant, instructif et fascinant.


Cette exposition est terminée. 








Note aux lecteurs : 

Toutes les photographies illustrant cette publication sont les miennes.


___


Publication créée le 8 novembre 2023

Modifiée le 15 mars 2024 



Sources d’inspirations

Maison de la Culture du Japon à Paris : Musée des outils de menuiserie Takenaka - Takenaka Carpentry Tools Museum :
Charlotte Mazalérat
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Documentaliste
Documentaliste chez les Compagnons du Devoir. Administratrice et modératrice sur le site DuMétier.

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Romain Recopé

Il y a 5 mois
Merci beaucoup pour ce partage très intéressant. Ça donne envie de voir cette exposition. Les Parisiens ont de la chance.
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