Et si nos futurs gisements de pierres de construction ne se trouvaient pas en carrières ?
Voici ma quatrième synthèse (4/7) des conférences du colloque "La pierre : un choix sociétal" organisé le 10 juin 2024 au Pavillon de l'Arsenal.
Dans son intervention, résumée ci-dessous, Hugo Topalov décrit des exemples concrets où des bâtiments en pierre de taille ont été soigneusement démontés pour réutiliser leurs matériaux dans de nouveaux projets, pour des raisons de préservation du patrimoine ou d'efficacité économique et écologique.
Hugo Topalov est coordinateur de projets réemploi & économie circulaire chez Bellastock. Il suit un parcours d’ingénieur à l’ESTP de 2011 à 2016, puis d’architecte à partir de 2014 à l’École nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette, où il obtient son diplôme d'État en 2017 et l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en nom propre (HMONP) par la suite. Fort de ce double cursus, Hugo Topalov est aujourd’hui coordinateur de projets réemploi & économie circulaire chez Bellastock et enseignant à l’ENSA Paris-Belleville. Bellastock est une société coopérative d'intérêt collectif comptant une vingtaine de personnes, dédiée depuis une douzaine d'années au réemploi. Active entre Paris et Marseille, elle aborde ce sujet à travers plusieurs métiers et plusieurs champs d’activités :
• Assistance à maîtrise d’ouvrage : Aide aux collectivités, villes et bailleurs sociaux pour intégrer le réemploi dans leurs pratiques.
• Assistance à maîtrise d’œuvre : Accompagnement des architectes et concepteurs pour adapter leurs pratiques au réemploi.
• Laboratoire de recherche : Création et diffusion de connaissances sur le réemploi en collaboration avec des partenaires européens et nationaux.
• Formation et sensibilisation : Transmission des savoirs par des formations et la sensibilisation de divers publics. |
Une pratique historique
Déplacement du temple de Philae en Egypte
Le cas du temple de Philae en Égypte est un exemple classique des possibilités de réemploi de la pierre.
Grâce à une opération complexe de démontage et de réinstallation sur une île voisine, le temple est sauvé d’une inondation devenue inéluctable par la construction du Haut barrage d’Assouan. Cette initiative, menée en 1971 par l'UNESCO et le gouvernement égyptien, a impliqué le démontage soigné de 47 000 blocs de pierre pour les réinstaller, mettant en lumière dès la seconde moitié du XXe siècle les défis et les étapes d’inspection, de tri, de nettoyage et de transport inhérents au réemploi de la pierre dans la construction.
Mais le réemploi n’est pas nouveau. La spolia était une pratique courante à l’époque romaine. Plus proche de notre temps, les pierres de la Bastille ont servi à fabriquer des édifices parisiens comme le pont de la Concorde et l’actuelle façade de la gare de Lille-Flandres est constituée des anciennes pierres de la gare du Nord de Paris.
Conserver plutôt que démolir.
Bien qu’acteur majeur de cette nouvelle filière de réemploi, Hugo Topalov et Bellastock plaident pour une approche prioritaire de conservation et de restauration du bâti existant.
« De la même manière qu’il ne viendrait pas à l’idée de démonter la cathédrale de la Major à Marseille ou les barres de Fernand Pouillon, on peut se poser les mêmes questions sur des bâtiments plus ordinaires qui constituent le Panier et dont il faut prendre soin avant d’envisager leur démontage. »
Gisements et pratiques contemporaines
Après ce tour d’horizon de références historiques, Hugo Topalov illustre la pratique contemporaine de réemploi d’ouvrages en pierre de taille par une première opération conduite dans le quartier Sanitas à Tours, où des milliers de logements sociaux des années 60 et 70 à structures béton et à façades en pierre de taille ont été démontés avec soin pour réutiliser leurs blocs de pierre. Il est intéressant de noter, archives à l’appui, que dès les années 60, à l’instar de l’œuvre de Fernand Pouillon, ces façades en pierre de taille témoignaient de l'utilisation de la pierre comme matériau local et économique en réponse à des pénuries passées de béton.
Démolition des anciens logements sociaux du quartier Sanitas – Tours Habitat
© Bellastock
Le processus de démontage et de réutilisation des blocs implique un diagnostic préliminaire, la dépose soignée des matériaux, des tests de performance des pierres, et leur stockage et transport appropriés pour préserver leur intégrité. L’architecture des années 80 à 2000, très riche en revêtements de façades en calcaires, marbres et granits agrafés, s’avère être un futur gisement important de pierres de réemploi, en témoignent le nombre croissant de projets de rénovation énergétique de tours à La Défense ou ailleurs.
Dépose du parement agrafé de la vêture d’un tour à la Défense
© Bellastock
Quels impacts économiques et environnementaux ?
« L’économie du réemploi consiste à déplacer des dépenses que l’on va mettre dans l’extraction de ressources vierges vers des dépenses liées à de la main d’œuvre »
Le réemploi réduit l'extraction de nouvelles ressources, tout en créant des emplois locaux et en favorisant une économie circulaire. Selon Bellastock, les coûts peuvent être compétitifs par rapport aux matériaux neufs, avec des avantages principalement environnementaux et sociaux, surtout lorsque le calepinage est étudié dès le départ entre le maçon et l’architecte.
Concernant la remise en œuvre du matériau, Hugo nous présente des opérations, menées avec l’agence d’architecture Petit Œuvre, de murs de logements sociaux, parois et murs porteurs intérieurs pour profiter de l’inertie de la pierre.
Quels défis et solutions à venir pour la filière de réemploi ?
La logistique, tels que le stockage massif et la gestion des matériaux récupérés, s’avère être une problématique majeure pour cette nouvelle filière. De nombreuses plateformes de stockage se mettent en place dans les territoires et gagnent en visibilité par leur présence sur la plateforme en ligne gratuite Opalys.
Architecture de stock, Aménagement d’un parc avec des pierres issues de la démolition d’une caserne militaire à Nantes
© Bellastock
Autre défi majeur, l'importance de l'implication communautaire des habitants et des acteurs professionnels de l’acte de construire ainsi que l'éducation des nouvelles générations pour assurer le succès et la cohérence des projets de réemploi. En témoignent les différents projets pédagogiques et de médiation menés, comme le festival Bellastock, né il y a une dizaine d’années, ou les chantiers participatifs en pierres sèches avec l’association ELIPS, valorisant blocs fendus et chutes de pierres d’autres chantiers.
Chantier de formation à la construction en pierre sèche (encadré par ELIPS) et fabrication de murets paysagers
© Bellastock
En résumé
Le réemploi des matériaux de construction se présente comme une pratique ancienne et actuelle qui combine conservation du patrimoine, efficacité économique et préservation des ressources. Sa réussite réside dans une planification minutieuse issue d’une collaboration étroite entre les différents acteurs du projet.
« Le réemploi va nous amener à regarder différemment ce qui nous entoure, notamment le patrimoine ordinaire, et à préserver toutes les valeurs dans les matériaux : historiques, patrimoniales, affectives. »
Retrouvez l’intégralité de l’intervention en vidéo sur la page Dailymotion du Pavillon de l'Arsenal :
Commentaires
Pour laisser un commentaire, veuillez vous connecter ou vous inscrire.
S’inscrireSe connecter