Comment isoler intelligemment le bâti en pierre ?
L'isolation thermique par l'extérieur est aujourd'hui plébiscitée en construction neuve grâce à la réduction des ponts thermiques qu'elle permet. Les isolants légers biosourcées employés, comme la fibre de bois, sont aussi mis en avant pour leur performance en construction sèche.
Cependant est-ce bien adapté à la construction pierre ? N'est-il serait dommage de masquer des belles façades appareillées par une isolation extérieure ? L'inertie et le confort d'été que procure un matériau dense comme la pierre ne se retrouverait-elle pas annihilée par un système d'isolation avec un vide d'air entre paroi intérieure et extérieure comme il est aujourd'hui d'usage ?
Alors entre performance énergétique et respect du bâti, existe-t-il une solution d'isolation adaptée à la pierre ?
Oui ! Et c'est que Grégoire Mouly, Ingénieur-thermicien chez LM Ingénieur démontre au travers une présentation de trois projets franciliens intégrant la pierre et isolés en béton de chanvre:
- La Huchette : Réhabilitation d’un bâtiment en maçonnerie de moellons,
- Oberkampf : Construction neuve en pierres de taille
- Brunoy : Réhabilitation avec ajout d'instruments de mesure dans les murs pour une meilleure caractérisation.
Voici ma cinquième synthèse (5/7) des conférences du colloque "La pierre : un choix sociétal" organisé le 10 juin 2024 au Pavillon de l'Arsenal.
Bonne lecture.
Grégoire Mouly est ingénieur thermicien et co-fondateur, avec son frère Laurent Mouly, de l’agence LM Ingénieur. LM Ingénieur réunit leurs compétences respectives en structure et en thermique, explorant la dimension climatique de l'architecture dans toute sa complexité, tant au niveau de sa forme que de sa matérialité. Forte de près de 15 ans d'expérience, l'agence s'est spécialisée dans l'étude de solutions constructives alternatives, mettant l'accent sur l'utilisation de matériaux biosourcés et géosourcés. Dès le début, le cabinet s’est mobilisé pour rechercher des solutions alternatives à impact environnemental positif, se concentrant particulièrement sur le développement de solutions constructives biosourcées, notamment le béton de chanvre et la pierre massive. |
Comment réhabiliter le bâti ancien en pierre et le rénover de manière énergétiquement performante ?
La particularité de l’approche de LM Ingénieur est que les trois projets répondent aux exigences thermiques réglementaires en utilisant une isolation par l’intérieur (ITI) en béton de chanvre pour préserver le caractère patrimonial et esthétique des façades en pierre, tout en respectant les propriétés thermiques intrinsèques de la pierre.
Comportement hygrométrique d'une paroi isolée en béton de chanvre
©LM Ingénieur
Projet : La Huchette
Le premier projet est situé rue de la Huchette à Paris. Les études ont démarré en 2013 et le chantier a été livré en 2016. C’est une réhabilitation pour la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), réalisée en collaboration avec Dumont Legrand Architectes. Le bâtiment, datant du XVIIIe siècle, a été transformé au fil du temps, avec des surélévations successives, créant une hybridation constructive. L’objectif est de réhabiliter ce bâtiment tout en respectant les objectifs du Plan Climat de la Ville de Paris (réduire de 25 % les émissions et les consommations énergétiques de Paris et atteindre 25 % d'énergies renouvelables dans la consommation d'ici 2020 par rapport à 2004).
Le projet inclut une partie du bâtiment principal en maçonnerie de moellons, ainsi qu’une aile en rez-de-cour reconstruite à neuf en raison de contraintes géotechniques liées à la proximité avec la Seine. La principale question abordée dans ce projet est la performance thermique. La réhabilitation vise à améliorer l’isolation thermique tout en conservant les qualités patrimoniales du bâtiment. Pour ce faire, l’équipe utilise du béton de chanvre, un matériau composite de chaux et de chanvre, qui offre une bonne inertie thermique et un comportement perspirant* adéquat permettant les transferts et la régulation de l’humidité avec la maçonnerie de pierre, contrairement aux matériaux d’isolation plus conventionnels.
*La perspirance est la propriété d’une paroi à évacuer, à travers son épaisseur, la vapeur d’eau générée par les occupants dans une habitation. (environ 2,5 l d’eau /jour/pers) et à la laisser s’évaporer lorsqu’elle arrive de l’autre côté.
« Nous avons cette notion de curer, purger, assainir le bâtiment, jusqu’à la maçonnerie, ce que l’on n’aurait pas fait dans le cadre d’une isolation par l’intérieur classique. On aurait plaqué cela sur les enduits. On a vérifié son état et on a amélioré tous ces points, pour repartir pour une durée de vie très longue. »
Les murs extérieurs sont également renforcés par un enduit isolant, et les planchers, initialement dégradés, sont remplacés. Une attention particulière est portée à la gestion des ponts thermiques, essentiels pour atteindre les objectifs énergétiques fixés.
Double isolant intérieur en béton de chanvre
©LM Ingénieur
Projet : Oberkampf
Le second projet, situé rue Oberkampf, est un projet neuf en pierre conçu par l’agence Barrault Pressaco Architectes, également pour la RIVP. L’idée initiale était de construire une façade en pierre similaire aux bâtiments haussmanniens, sans isolation supplémentaire. Cependant, pour répondre aux exigences thermiques de la réglementation RT 2012 (limitation de la consommation d’énergie primaire des bâtiments neufs à un maximum de 50 kWhEP/(m².an)), l’équipe a travaillé sur des solutions intégrant la pierre avec du béton de chanvre pour l’isolation intérieure, permettant de conserver l’inertie de la pierre. En hiver, la pierre naturelle renvoie la chaleur par rayonnement et, en été, grâce à sa masse volumique élevée, elle ne cède la chaleur additionnelle de la journée que pendant la nuit grâce à un temps de déphasage très long.
Bilans des apports et déperditions énergétiques des façades.
©LM Ingénieur
Après calcul du rapport entre l’apport solaire et les déperditions pour chaque façade et le remplacement des planchers initialement prévus en béton par des planchers en bois massif (CLT) avec connecteurs métalliques, optimisant ainsi les ponts thermiques et les performances thermiques globales, la façade en pierre massive d’une épaisseur de 30 cm (épaisseur minimale pour l’étanchéité à l’eau) est dotée uniquement d’un enduit correcteur intérieur de 10 cm.
« C’est vraiment ce travail d’équilibre au niveau des déperditions qui nous a permis de ne mettre que 10 centimètres de béton de chanvre sur une façade en pierres. »
La RT 2012, plus flexible que la RT 2005, en ouvrant sur la consommation d'énergie primaire des matériaux et sur le critère de confort en été a favorisé une approche globale de la performance de l’enveloppe et permis d’atteindre les objectifs énergétiques fixés, en intégrant des matériaux comme le béton de chanvre, qui n’auraient pas été considérés dans des réglementations antérieures.
Détail constructif de la façade d’Oberkampf
©LM Ingénieur
Projet : Brunoy
Le dernier projet présenté, situé rue de Brunoy, est une réhabilitation réalisée en 2021, avec Dumont Legrand Architectes, qui combine les approches des deux premiers projets. L’isolation intérieure est en béton de chanvre projeté. Ce choix d’isolation s’est avéré idéal en raison de ses caractéristiques perspirantes, qui fonctionnent très bien avec des murs anciens en pierre et mortier de chaux, comme c’est le cas sur ce bâtiment. Une instrumentation a été placée dans le doublage isolant en béton de chanvre afin de suivre les évolutions thermiques et hygrométriques de la paroi.
En résumé, l’utilisation de matériaux comme le béton de chanvre permet d’atteindre les objectifs énergétiques tout en respectant les qualités constructives et historiques des bâtiments. Ces projets illustrent aussi l’évolution des réglementations thermiques et les solutions innovantes mises en œuvre pour répondre aux défis contemporains de la réhabilitation et de la construction en pierre.
Instrumentation des parois
©LM Ingénieur
L'instrumentation a consisté en la pose de 3 séries de 4 sondes selon 3 localisations différentes, dans l'épaisseur de parois isolées en béton chaux/chanvre et exposées Est et Ouest.
La pose s'est effectuée en Août 2020 concomitamment avec la projection du béton de chanvre et chaux en face intérieure des murs existants et selon les précisions suivantes :
• la première sonde posée à la frontière de l'enduit de finition /mur béton de chanvre
• la seconde à 4 cm en profondeur dans mur béton de chanvre
• la troisième à 8 cm en profondeur dans mur béton de chanvre
• la quatrième à la frontière du mur béton de chanvre /mur pierre et moellons existant
En résumé
L’utilisation de matériaux comme le béton de chanvre permet d’atteindre, avec des matériaux bio-sourcés, les objectifs énergétiques tout en respectant les qualités constructives et historiques des bâtiments. Ces projets illustrent aussi l’évolution positives des réglementations thermiques et les solutions innovantes mises en œuvre pour répondre aux défis contemporains de la réhabilitation et de la construction en pierre.
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